Le Lion de Juda, divin messager fauve de l'Unique, vient trouver les âmes et des lames. Et des voix. Après que les trois prophètes ne sont plus que récités en bondieuseries mièvres, après que l'Eglise et sa curie se soient appropriées le verbe du Seigneur et se posent désormais en intercesseur nécessaire entre le cœur du croyant et son Créateur, après qu'il soit désormais accepté et réclamé par tous la présence de la bénédiction sacramentelle du prêtre sur un baptême ou un mariage, l'Unique nous éprouve.
Il éprouve notre vigueur à vivre et revivre éternellement les mêmes jours. A l'aube, notre être s'éveille. Curieux du sens de notre existence ici-bas. A l'aube, notre mémoire et vision s'orne d'un "rien" puissant de sens. Et lorsque, ô sublime félicité, l'on croise d'autres êtres, c'est quelque fois pour quarante cinq jours de brancard qui ne changent rien si souvent. Et le cycle se poursuit. Sans fin. Il use. Et la langueur nous saisit. Et cette peste nous prend. Et l'on meurt un jour sans avoir su répondre à la seule question qui soit : "qu'as-tu fait de la vie que je t'avais confiée ?"
Le Seigneur éprouve notre foi. Cela n'a rien d'un idéal.
Mille et une croisades, mille et un buchers, sont mille et une fois la part du Lion prise sur un calotin ou un bougre qui s'ignore encore, comme je le fus jadis, au creux d'un chemin entre Lörrach et Basel. Chaque jour que le Créateur fait, je bénis cette rencontre ! Avril et mai, je jeûne, aussi. Pour la ligne, en gargote et aussi parce que ce sont les mois des giboulées romaines sur ma cité. Je ne défends pas la réforme de l'aristotélité. Je la proclame. Hautement. L'Hydre, dont beaucoup sont de mes amis, est bête vaine. Il en restera le souvenir du dragon au fond de la montagne. Assoupi sur un tas d'or. Ce qui n'est pas rien, si le tas est gros et de découvreur petit avec du poil aux pattes. Fernand ne me supporte plus parce que nous sommes... vertueux. Et ça lui évente sa bière jusqu'à la taverne le soir du jour des humbles. Si l'on rejoint l'Hydre par dépit, on proclame la réforme par amour.
Les genferei sont pour les créatures du Seigneur ce que la part du Lion est au sicaire. Une épreuve. Saisir la bourse d'un bougre, la secouer vivement en appelant à regarder Dieu droit dans les yeux ? Eveiller le mécréant à la vraie foi ? Essayez pour rire ! Foutaises ! Le bougre regarde son inventaire et verse une larme. Dans le meilleur des cas, le bougre te regarde, toi. Et te hait, toi. Profondément. Plus que tout au monde. Plus que sa vie. Alors, patiemment, si tu as saisi bien comme il faut, ce bougre qui se sent émasculé dans son corps animal s'éveille dans sa hantise du messager fauve. Et il voit nos montagnes. Et il voit le phare qui l'éblouit et le nargue et qui lui fait perdre cette "Raison" curieuse qui l'endort à chaque aube au bout de son champ au lieu de l'éveiller. Et il vient. En armées caparaçonnées. Ordalie d'un autre âge, il compte se venger in gratibus de ce mal dérisoire et mesquin que tu lui fis un lustre plus tôt. Et au bord du lac, il tombe encore. In gratibus à genoux. Quarante-cinq jours. En prière. A genoux.
Les sourds et les illettrés reviennent mille et une fois. Certaines belles âmes entendent. Et le bougre animal se fait animé. Plein d'âme.
Le Lion me confia jadis une bourse remplie de billes. Des terres et quelques porcelaines. Un œil de chat aussi. Taquin, Il me moqua : joue ! Montre-moi ! Perds mille et une fois ! Amène ! que j'lui ai dit.
Qu'as-tu fait de la vie que je t'avais confiée ?
J'ai joué tes billes, Seigneur. Et j'ai ramassé mille et un calots.