Loin de l'image romantique du duel de jouteurs en lice, l'hastiludium ou torneamentum des XIIe-XIIIe s. est bien plus proche d'une véritable guerre. Même si en marge de l'évènement les champions s'affrontent en duel à la lance, c'est une bataille rangée entre deux groupes équipés pour la guerre, sur une surface très importante de plusieurs kilomètres carrés, souvent sur des territoires de marges où se déroulent, en temps de guerre les véritables opérations militaire. Si les denrées agricoles sont mises à l'abri des dégradations, les participants peuvent faire appel à des piétons levés comme pour le service militaire et on n'hésite pas à se battre à plusieurs contre un ou contre les blessés.
Les engagements sont meurtriers, plus que les batailles rangées qui sont de plus en plus rares à cette époque. Il semble que les contemporains considèrent qu'il s'agit d'un excellent entraînement, à tel point que les anglais autorisent leur aristocratie à les pratiquer pour ne pas perdre l'avantage sur les français mieux préparés à la guerre.
Cependant, le tournoi est aussi un sport et une fête typique de la mentalité nobiliaire. Le but est de capturer les chevaliers adverses et principalement le capitaine du groupe, de manière à prendre leur équipement et à les rançonner. On y règle les affaires d'honneur, et contrairement à la guerre, on n'esquive pas le combat en se cachant dans une forteresse ou en pratiquant la razzia, l'affrontement est inévitable même si on aménage des recès, des refuges conventionnels où il est interdit de s'attaquer.
C'est un exutoire à la guerre pour une noblesse dont c'est le métier, que l'on détourne ainsi des troubles politiques. C'est un moyen pour les cadets des familles, sacrifiés au nom du lignage, de gagner renommé et fortune. Les meilleurs sont débauchés par d'autres camps pour des terres ou de l'argent à l'exemple de Guillaume le maréchal.
Les affrontements sont scénarisés, on y rejoue des batailles historiques ou bibliques.
Le public est nombreux, et il est probable que les dames assistent de loin aux tournois, mais il l'est tout autant qu'elles n'en voyaient rien. Peu importe, pour elles aussi c'était un jour de fête avec jeux et danses. D'autre part, dès 1180 il apparaît qu'elles délivrent le prix du tournoi au meilleur chevalier.
Les tournois trouvent leur origine dans les cembel apparu dans les années 1060 entre Loire et Meuse, peut être en lien avec l'invention de la technique de charge à la lance couchée. Cette technique, plus spectaculaire que le combat à l'épée se prête bien au spectacle. Ce sont des affrontements très brutaux à distinguer des joutes courtoises car les auteurs du temps les assimilent à de véritables batailles.
Le véritable essor n'arrive qu'au début du XIIe s., auquel correspond le début de la civilisation courtoise, et une baisse sensible des engagements armés entre seigneurs. Les années 1125 à 1225 sont le siècle du tournoi.
L'Église condamne dans les conciles ces « foires détestables » dès le début du XIIe s. et répète cette condamnation à plusieurs reprises. Elle leur reproche à juste titre d'être dangereux, de regrouper les sept péchés capitaux, d'exalter le corps, l'appât du gain et les haines privées. D'autre part c'est un rite de marges non chrétien. Elle prive donc les participants de sépulture chrétienne.
Le pouvoir central est plus ambigu à leur égard : Bon exercice qui détourne la noblesse des guerres privées, ce sont aussi des regroupements dangereux pour l'autorité royale. Le roi d'Angleterre les autorise mais les confine dans cinq lieux réservés autour de Londres et soumis au payement d'une licence.
L'évolution des tournois au XIIIe s. est issus de cette double influence : Le vocabulaire évolue en jousteor, les armes deviennent moins dangereuses, « à plaisance », ce n'est plus un simulacre de guerre ni un espace de liberté, mais un spectacle mis en scène et encadré par les autorités, offert par la chevalerie.
Pour en savoir plus :
Georges Duby, Guillaume le Maréchal, ou, Le meilleur chevalier du monde, en Poche, 1986.
Jean Flori, Chevalier et chevalerie au Moyen Age, Hachette, Paris 1998.
dir. Philippe Contamine, Les Chevaliers, Tallandier&L'Histoire, Paris 2006.
Les tournois Normes et pratiques, in Histoire et images médiévales thématique n°10 :Tournois et Duels, p.47 à 82, Aout, Septembre et Octobre 2007